Une version de cet article a déjà été publiée dans le Canadian Defence Review, vol. 20, fascicule 6 sous le titre « The Future Ain’t What It Used to Be ».
Je discutais avec mon conseiller financier de la façon dont nos clients respectifs ont tendance à ignorer leur futur bien-être financier et commercial pour se concentrer presque exclusivement sur le présent. L'expert en services professionnels David Maister appelle cela le syndrome du « gros fumeur ». Certaines personnes continuent à fumer, à trop manger ou à paresser au lieu d'adopter des habitudes de vie saines. Les psychologues n'ont pas complètement expliqué les raisons de cet état de fait, mais ils ont fait des progrès en le nommant : « faire abstraction du futur ».
Dans la plupart des cas, les gens — c’est-à-dire vous et moi — voient l'avenir comme un ensemble d'aspirations, de possibilités et de potentialités, certaines donnant de l'espoir et d'autres faisant peur. Le futur lointain est abstrait et nébuleux. Le présent et le futur proche sont concrets. Nous voyons clairement les menaces et les opportunités, alors nous agissons avec moins d'hésitation.
Ce problème existe aussi dans les stratégies et les tactiques militaires, mais les planificateurs de l'armée ont développé des façons de surmonter l'abstraction du futur et la paralysie face à l'incertitude. Il y a trois concepts clés qui sont particulièrement pertinents pour les stratégies et les tactiques commerciales.
Le premier et le plus puissant de ces concepts consiste à planifier et à fonctionner sur trois horizons temporels : les opérations courantes, les opérations futures et les plans futurs. Les opérations courantes servent à exécuter le plan actuel du commandant. Les opérations futures servent à développer les étapes qui suivront l'atteinte des objectifs immédiats. Les plans futurs sont consacrés au développement de plans de contingence et s'inscrivent après la fin de l'opération courante et de celle qui suivra immédiatement après.
Mais il ne suffit pas d'avoir trois horizons temporels. Vous devez aussi mettre les « troupes à la tâche » pour vous assurer que vous avez des gens centrés sur le présent, d'autres centrés presque exclusivement sur le futur immédiat, et d'autres encore explorant le futur plus lointain.
Bien que la chaîne de commandement fonctionne pour exécuter des plans dans le présent, il y a des officiers d'état-major qui préparent la prochaine phase de l'opération. Ils sont occupés à analyser la situation actuelle et à adapter les plans en fonction des actions de suivi (et des réactions). Leur horizon temporel va des prochaines heures (pour un bataillon) aux prochains mois à venir (pour une force expéditionnaire, par exemple).
Il y a un petit groupe d'analystes et de planificateurs qui développent des scénarios amicaux et ennemis sur une plus grande échelle de temps. Ils cherchent aussi des façons de « façonner » le futur champ de bataille, afin que les forces amies soient les mieux placées pour imposer leur volonté à l'ennemi (ou les intervenants et les belligérants dans le cas d'opérations de maintien de la paix ou de faible intensité). Le leadership est crucial pour les trois horizons temporels. Le commandant exerce sa volonté dans le présent, tout en tenant compte des conseils de son état-major et des planificateurs des opérations futures, qu'il guide en parallèle.
Le second concept clé découle du fait qu'il y a toujours plusieurs façons d'atteindre un but. Les planificateurs militaires, tout comme les dirigeants d'entreprises, ont trop souvent tendance à s'enfermer dans leur routine. Ils continuent de faire les choses de la même façon qu'avant parce que c'est comme ça qu'ils les ont apprises. Mais, comme le dit Marshall Goldsmith, « ce qui vous a mené jusqu'ici ne vous mènera pas là-bas ». Les stratégies, les méthodes et les tactiques qui ont produit vos succès (ou vos échecs) actuels ne fonctionneront pas nécessairement dans l'avenir.
Les leaders et leur personnel doivent analyser les conditions et les facteurs qui ont une incidence sur elles pour pouvoir générer une variété d'options. Puis, chacune de ces options doit être pondérée en fonction des actions et des réactions potentielles de l'ennemi (ou des concurrents et des acheteurs). La solution optimale devient la base du plan principal, alors que les options secondaires forment la base de la contingence et des plans de suivi.
Le concept final mis au point par les planificateurs militaires s'appelle la planification basée sur les scénarios. Il s'agit d'un domaine à part entière où il faut examiner l'environnement opérationnel, stratégique ou tactique comme un éventail de réalités alternatives. Chaque scénario dépeint un monde plus ou moins altéré, qui peut être ensuite exploré pour identifier et évaluer les implications selon une variété de perspectives et un certain nombre de dimensions.
La planification basée sur les scénarios est particulièrement pertinente plus vous l'envisagez dans le temps, où les subtilités de cause à effet et les développements en cascade peuvent être évalués. Les conclusions contribuent à façonner l'avenir de l'organisation et son impact sur les concurrents, les marchés et les autres intervenants.
Il n'y a aucune solution miracle pour contrer l'abstraction du futur et l'hésitation face à l'incertitude et au risque. Malheureusement, c'est un peu une cause perdue que d'essayer de convaincre les gens d'être vertueux. Toutefois, l'approche militaire face à ce problème fournit un éventail de méthodes et d'idées pour traiter le syndrome du « gros fumeur ».