« Il faut être paranoïaque pour survivre. » Je ne me souviens pas de la première fois que j'ai dit cela, mais je crois fermement à la valeur de la paranoïa en affaires. Je crois aussi qu'il est du ressort d'un cadre d'être constamment aux aguets contre les attaques des concurrents. Il doit par ailleurs chercher à inculquer cette attitude de « chien de garde » aux gens qu'il a sous ses ordres. Andy Grove
Les risques peuvent prendre bien des formes, mais ils ont tous une chose en commun. Il faut savoir les reconnaître ou se les imaginer avant de pouvoir s'en prémunir. C'est pour cela qu'Andy Grove, un des fondateurs d'Intel Corporation, croit que seuls les paranoïaques peuvent survivre en affaires.
Cette attitude prémonitoire dérange bien des gens, pour qui c'est trop pessimiste. On préfère plutôt l'optimisme à toute épreuve. Après tout, n'est-ce pas la croyance qui est véhiculée dans les livres de croissance personnelle et les publireportages diffusés aux petites heures du matin?
La réalité est bien différente. Le succès en affaires (et dans la vie) exige une capacité de voir les choses telles qu'elles sont plutôt qu'avec des lunettes roses. Dans son bestseller intitulé « Good to Great », Jim Collins a noté que les revirements de fortune et les décollages en affaires commencent souvent lorsque les dirigeants d'entreprise confrontent la dure réalité tout en maintenant la foi en leur éventuelle réussite. Le danger et les risques ne disparaissent pas parce qu'on joue à l'autruche et qu'on met la tête dans le sable. Il faut aussi réaliser qu'il peut y avoir des risques difficilement cernables ou imaginables ou qui nous paraissent farfelus à prime abord, mais qui planent néanmoins sur nous. Un risque peut exister même si nous n'en sommes pas conscients.
L'exemple de la presse écrite nous donne un exemple d'un risque concurrentiel qui arriva d'une direction complètement inattendu. À une certaine époque, les journaux représentaient le principal médium d'information publique. Tous les médias traditionnels ont eu de la difficulté à composer avec l'arrivée d'Internet, mais ce sont les journaux qui ont le plus soufferts. Les journaux ont disparu dans bien des marchés. La raison principale : l'arrivée de Google, géant de la recherche en ligne, qui domine le mouvement qui a sapé les revenus publicitaires des journaux. Les journaux ont survécu pendant de nombreuses années sans se soucier que le coup de grâce proviendrait d'un secteur qui n'avait initialement rien à voir avec les médias et l'information publique.
Les entreprises qui bougent rapidement et qui sont dynamiques sont aussi aptes à générer des risques. La catastrophe du Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique est le résultat d'une suite d'erreurs humaines et de risques techniques accumulés qui sont attribuables directement à la stratégie d'exploration et d'exploitation agressive de la pétrolière BP.
La firme canadienne Research in Motion (RIM), fabricant des Blackberrys, doit composer avec des gouvernements qui réclament le droit d'accès aux messages transmis sur les réseaux de la société. Dans certains cas, les préoccupations pour la sécurité sont légitimes, mais dans d'autre cas, il ne s'agit en effet que de craintes d'opposition et de dissension. C'est donc la principale force des Blackberrys, soit la sécurité des données transmis sur son réseau, qui génère le risque d'intervention et de restriction gouvernementale. Dans ce cas, l'avantage concurrentiel principal de RIM représente aussi un risque important pour la firme dans son désir d'expansion dans les marchés avec le plus grand potentiel de croissance. RIM semble avoir été pris complètement à dépourvu par ce développement récent. Est-ce que la direction aurait pu envisager ce risque de nature politique? Je crois bien que oui, mais il aurait fallu s'y pencher de façon délibérée et rationnelle.
Il faut prendre une approche méthodique et complète pour s'assurer de bien peser le plus de risques possibles afin d'être en mesure d'exploiter le changement à sa faveur ainsi que les opportunités. Il faut accepter qu'il y aura toujours des risques et que l'inaction peut s'avérer aussi dangereux que l'action. Il faut aussi développer la capacité de s'imaginer et comprendre des risques qui peuvent à prime abord paraître inusités ou fort improbables, ainsi que l'aptitude d'en évaluer les probabilités et les conséquences possibles. Finalement, les entreprises doivent développer une appréciation détaillée de leur profile de risque global, notamment l'équilibre des opportunités et des risques, ainsi que leur « appétit » pour le risque.
Après tout, c'est avant qu'il faut être paranoïaque, pas après.
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