De temps à autre, nous faisons face à des réactions fortement émotives quand surviennent des situations à risque. Les attaques de « loups solitaires » sur nos institutions nationales (des soldats et le Parlement) la semaine dernière à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa en font partie, tout comme la flambée épidémique d’Ébola en Afrique de l’Ouest. Si vous écoutez les bulletins de nouvelles et lisez les journaux, vous pourriez penser que nous sommes attaqués!
Comprenez-moi bien, je ne dis pas que la crise de l’Ébola en Afrique n’est pas dangereuse, que ce n’est pas une catastrophe majeure ou que la menace terroriste n’est pas réelle. Mais il faut mettre les choses en perspective.
Jusqu’à maintenant, peu de gens ont contracté l’Ébola en Amérique du Nord et en Europe. Il s’agissait toujours de personnes qui avaient été en contact physique prolongé avec des victimes infectées en Afrique ou qui avaient traité ces malades. D’après ce que j’ai pu comprendre, les malades non-africains font tous partie du personnel médical. Quelques-uns ont survécu, quoique nous ne sachions pas encore quelles seront les séquelles à long terme sur leur santé.
Les centres américains pour le contrôle des maladies (US Centers for Disease Control ou CDC) s’appuient sur des opinions scientifiques pour affirmer qu’une mise en quarantaine systématique n’est pas nécessaire. Entre temps, certains États (comme le New Jersey) ont choisi d’imposer leur propre règlement de quarantaine, passant outre l’évaluation des CDC. Les CDC basent leurs recommandations sur une évaluation scientifique et rationnelle. Je ne suis pas certain que les États et les diverses écoles qui ont réagi émotionnellement ont fait la même chose. La science peut se tromper mais, au moins, elle se base sur une évaluation rationnelle des risques et de la menace, et non uniquement sur une réaction émotive. Elle pourra être actualisée quand plus de données empiriques seront rassemblées et que la compréhension théorique de la maladie progressera. De plus, qui détient le savoir-faire épidémiologique? Les CDC ou une petite poignée d’États et d’organismes municipaux moins outillés?
Chaque fois que nous faisons face à une crise sanitaire potentielle, comme une pandémie ou une épidémie, il est normal d’évaluer la menace et les risques et de prendre des mesures préventives ou compensatoires. D’un autre côté, nous devons mettre les choses en perspective. Chaque année, des milliers de parents refusent de faire vacciner leurs enfants contre des maladies courantes. Qu’il s’agisse de la rougeole ou de la variole, les risques d’infection et de mortalité varient. L’élément commun est que cette attitude contre des mesures qui ont fait leurs preuves pour prévenir et endiguer la propagation de ces maladies a permis une résurgence de la rougeole, de la coqueluche (toux coquelucheuse), etc. Et comptons-nous chanceux que la variole ne soit pas revenue en force.
Mais le hic ici c’est que la rougeole et la variole peuvent réellement tuer des gens, spécialement les plus faibles et, généralement, ce sont les enfants. Alors, d’un côté nous avons une réaction excessive à l’Ébola de la part de certains États et autorités municipales aux É.-U. (et sans doute dans d’autres pays), tandis que certains sont trop craintifs pour prendre des mesures actives comme de permettre la vaccination de leurs enfants. Non seulement mettent-ils leurs propres enfants à risque, mais cela réduit l’immunité collective d’une population. C’est nécessaire pour protéger ceux pour qui la vaccination n’est pas efficace. Si vous en doutez, je vous invite à regarder un documentaire de Nova science sur les paniques liées à la vaccination aux É.-U., récemment diffusé sur PBS. Vous pouvez le voir en ligne.
Il y a aussi un manque de perspective à l’égard de la menace du terrorisme. Nous devons avoir une approche équilibrée et raisonnée des risques associés aux terroristes qualifiés de « loups solitaires ». Il ne s’agit pas d’une nouvelle menace et elle n’est pas propre à l’extrémisme islamique. Il y a toujours eu des fous animés de divers motifs : que ce soit des écologistes prêts à insérer des crampons dans les arbres pour blesser les travailleurs forestiers ou des extrémistes juifs ultra-orthodoxes désirant se faire exploser dans Jérusalem. Nous devons garder à l’esprit que le terrorisme et la guérilla urbaine sont les stratégies des faibles. Comme je l’ai écrit dans mon livre, Brilliant Manœuvres : « cela découle de la réalisation que la force qu’on commande est incapable de mener une action offensive hautement coordonnée et dommageable. » La firme de conseil et analyse en sécurité STRATFOR souligne que l’approche du « loup solitaire » du Djihad est en fait un quasi-échec des extrémistes musulmans qui visaient de faire des ravages en Occident. Cela vient de la réalisation qu’ils sont incapables de lancer des attaques destructrices et coordonnées sans s’exposer eux-mêmes aux risques extrêmes d’échouer dans la mission.
Quand survient une crise, il faut réfléchir, même s’il faut improviser pour parer au plus pressé, et ne pas céder à la panique, ni courir dans tous les sens pour répondre aux pressions populaires de « faire quelque chose, n’importe quoi ». Nous devons souvent pondérer une gamme d’options douteuses pour enfin choisir et appliquer la solution la moins pire. Le danger de réagir outre mesure au terrorisme est d’imposer tellement de restrictions aux libertés civiles et à l’accès aux institutions démocratiques que les terroristes obtiennent une réponse politique et sociale démesurée par rapport aux risques réels.
Quand on parle de danger pour la santé, le danger est de réagir exagérément tout en ignorant ou tolérant des comportements beaucoup plus condamnables dans notre propre cour arrière. Des mesures raisonnables pour prévenir et atténuer la contagion venant de l’Afrique sont une chose. Mais entretemps, il y a des éclosions de maladies facilement évitables et contrôlables ici même, et elles ne viennent pas d’Afrique.