Une des choses que j'ai remarquées récemment, c'est la grande vulnérabilité de nombreuses entreprises et organisations face à des menaces non-concurrentielles.
Je ne parle pas ici des traditionnels bonhommes Sept Heures des entreprises : le méchant gouvernement et les méchants syndicats. Je parle des groupes écologistes, des groupes d'action politique et même des blogueurs solitaires qui lancent des missiles verbaux depuis le confort de leur foyer. Certains de ces groupes externes ont de bons arguments, mais ce n'est pas le cas d'un grand nombre d'entre eux. Leurs positions sont souvent absurdes ou non fondées, spécialement quand il s'agit de faits scientifiques. La capacité de propager la désinformation rapidement par le biais de blogues, pétitions en ligne, Twitter et Facebook contribue grandement à la capacité de n'importe qui voulant diffuser un message ou promouvoir une cause.
Les organisations doivent être conscientes de ce phénomène et prendre des mesures pour protéger leurs opérations. Voici quatre exemples concrets :
• L'an dernier, une entreprise américaine de transformation et de conditionnement des viandes, appelée BPI, fut attaquée par une femme du Texas qui a commencé une pétition en ligne contre l'utilisation du produit de cette compagnie dans les cafétérias scolaires. Le produit de BPI, une sorte de viande très transformée, provoquerait apparemment du dégoût chez certains consommateurs, même s'il n'y a jamais eu de cas de contamination ni de quelconque danger lié à ce produit. Son apparence est seulement « dégueulasse » pour utiliser un terme très scientifique. Les conséquences pour BPI ont été désastreuses. L'entreprise a dû fermer 4 de ses 5 installations de production parce que ses clients (Walmart, Taco Bell, McDonald et d'autres) l'ont abandonnée ou lui ont imposé des restrictions sévères en tant que fournisseur.
• Hydro-Québec, l'imposant monopole électrique du Québec, a planifié d'installer ce qu'elle appelle des compteurs de nouvelle génération (compteurs « intelligents ») dans les résidences de la province. Ces derniers vont permettre la collecte de données plus détaillées et la transmission d'information sur les habitudes de consommation, pour augmenter l'efficacité de ce service public. Il existe environ 15 ou 16 applications de cette technique en ce moment, et probablement qu'il y en aura davantage à l'avenir. Mais certaines personnes pensent que les ondes radio émises par ces compteurs auront des effets secondaires néfastes. Peu importe que ces émissions soient si faibles qu'elles ne peuvent être mesurées que dans un laboratoire semblable à une chambre anéchoïque, Hydro-Québec doit se défendre contre des opposants ignorants qui ne connaissent rien des fondements de la physique. Espérons que le projet ira de l'avant quand même.
• TransCanada Pipelines doit combattre les groupes environnementalistes qui s'opposent au pipeline Keystone XL aux États-Unis. Le but du pipeline est d'expédier vers le sud le pétrole des sables bitumineux de l'Alberta. Je suis certain que ces groupes ont beaucoup de bons arguments, mais l'alternative à un nouveau pipeline du Canada est de transporter le pétrole dans des navires-pétroliers depuis le Venezuela et le Moyen-Orient, ensuite, quand le pétrole arrive aux É-U, il faut encore l'acheminer par pipeline. À moins que les États-Unis commencent à consommer radicalement moins de pétrole — ce qui selon moi n'est pas près d'arriver — je ne vois pas comment le transport du pétrole d'un autre continent au moyen de navires-pétroliers et de vieux pipelines est plus sécuritaire qu'un seul pipeline tout neuf. Toute la question consiste à équilibrer les risques, non de tous les éliminer.
• Stratfor s'affiche comme un groupe-conseil en « prévision stratégique », qui fournit des évaluations de stratégies géopolitiques et militaires de situations régionales ou mondiales, à des clients payants partout dans le monde. On peut penser sans trop se tromper que certains de ces clients sont des entreprises qui essaient de travailler dans des environnements dangereux, ainsi que des gouvernements qui recherchent des sources d'information indépendantes. Le site Web et les serveurs informatiques de Stratfor ont été piratés l'an dernier, cette société s'est fait voler des renseignements concurrentiels et relatifs aux clients, comme les données de cartes de crédit, et ses clients furent inondés de courriels illégaux répétitifs. Le piratage avait toutes les apparences d'une attaque délibérée pour discréditer Stratfor, nuire à ses opérations et sa crédibilité. La société a dépensé des millions pour rendre ses opérations sécuritaires à nouveau.
Je suis certain que les lecteurs ont eu des expériences semblables ou connaissent des entreprises ou des organisations qui ont dû réagir à ce type de menaces. J'aurais pu inclure les relations douteuses de SNC Lavalin en Libye, ou les difficultés de Talisman Energy au Darfour, il y a dix ans, ou même les pratiques de sous-traitance en Chine d'Apple. Je traite de ce phénomène dans mon livre Brilliant Manoeuvres qui paraîtra bientôt. Ma thèse est que beaucoup d'entreprises devraient s'inquiéter autant, sinon plus, des menaces nébuleuses provenant d'entités non commerciales qu'elles le font de leurs rivales traditionnelles en affaires. Comme nous l'avons vu dans les exemples précédents, les menaces peuvent être coûteuses et, dans certains cas, désastreuses.
Ces types de menaces peuvent provenir de n'importe où. Voici quelques questions à se poser pour identifier les menaces potentielles :
• Est-ce qu'une de nos activités ou un de nos produits, bien que légal(e) et approuvé(e), pourrait néanmoins susciter de l'opposition d'une manière quelconque?
• Quelqu'un a-t-il déjà « menacé » de nous détruire ou de nuire à nos opérations d'une manière ou d'une autre?
• Y a-t-il quelque chose que nous faisons et que nous serions embarrassés de rendre publique, même si cette activité est parfaitement légale?
• Ce que nous faisons pourrait-il être interprété sous un jour très négatif du point de vue des pratiques environnementales, politiques ou du travail, que ce soit en Amérique du Nord, en Europe ou ailleurs dans le monde? (Pensez à l'opposition suscitée par les pratiques de sous-traitance d'Apple avec des compagnies chinoises dont les pratiques en matière de travail sont jugées abusives.)
Beaucoup d'autres questions peuvent être posées. Le point est que quelqu'un quelque part pourrait ne pas aimer ce qu'une entreprise fait et pourrait agir rapidement pour ternir la réputation de cette entreprise, parfois avec des conséquences énormes sur ses activités commerciales. J'en parlerai souvent dans mon blogue au cours des prochaines semaines; tout particulièrement, j'aborderai ce qu'il faut faire à ce sujet.
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