J'ai récemment conduit un atelier sur le leadership en situation d'urgence, donné dans le cadre du programme Préparation Urgences du Cégep de Drummondville (www.preparation-urgences.net). Nous avons eu des discussions fort intéressantes sur le sujet de l'intuition comme outil de leadership et de prise de décision. Voici donc quelques réflexions sur ce sujet.
L'intuition est un élément essentiel de la réaction face à un danger ou à une situation de crise. Toutefois, elle ne constitue pas une panacée pour la prise de décision éclairée. L'intuition peut être le fruit de nombreuses années d'expérience ou encore d'un simple instinct animal, mais c'est la pensée rationnelle qui doit encadrer la plupart de nos décisions, même les plus rapides et les plus exigeantes.
La raison est simple: l'intuition est avant tout un mécanisme inconscient de signalisation qu'un processus décisionnel élaboré. En effet, nous avons tous une capacité inconsciente de détecter des signes subtils de danger ou d'un changement de situation. Un pompier d'expérience peut déceler des légers changements dans la progression d'un incendie et réagir de façon instinctive et efficace. Il en va de même pour les enquêteurs de police. Dans bien des cas, c'est leur « gut feeling » qui les guide dans leurs enquêtes.
Ceci étant dit, si l'intuition nous avertit que tout ne tourne pas rond dans notre environnement, elle n'est pas infaillible et peut même nous faire réagir de façon inappropriée. Dans les cas mentionnés ci haut, il est évident que l'intuition est alimentée par de nombreuses années d'expérience et d'expérimentation de solutions. Par la force des choses, le chef pompier ou l'enquêteur en chef ont un instinct bien aiguisé. Par contre, dans des cas où l'expérience nous fait défaut, il faut plutôt faire appel à la faculté de raison.
À titre d'illustration, je me souviens d'un incident particulier en Bosnie, alors qu'un commandant Croate m'avait prodigué une menace à peine voilée. Mon corps a réagi avant même que je ne puisse le faire de façon rationnelle. En effet, j'ai ressentie un creux dans le bas du ventre, le genre d'émotion qui signale que je faisais face à une menace physique. Je me souviens clairement d'avoir eu cette sensation et d'avoir pensé : « Çà y est; c'est une menace! ».
Dans ce cas, si mon intuition m'a donné un signal clair de danger, j'ai dû quand même réfléchir avant d'agir. La réaction instinctive aurait peut-être été de fuir ou encore d'attaquer la personne avant même qu'elle n'ait la chance de le faire. Par contre, nous étions dans son bureau, mon interprète était présent et je venais de prendre le commandement du secteur. En y pensant bien, le contexte était tel que la menace n'était pas réelle, mais plutôt un jeu de machisme de sa part afin de m'intimider, le nouveau venu. C'est pourquoi la réflexion m'a mieux servi que la réaction instinctive. J'ai donc joué le même jeu machiste et répondu d'une façon à lui faire comprendre qu'il ne m'avait pas atteint. Ce fut la dernière fois qu'il me parla de cette façon.
En situation de danger, de risque, de crise et d'incertitude, notre intuition peut nous envoyer des messages importants. Il faut les prendre au sérieux. Par contre, plus souvent que non, il serait plus sage de réfléchir aux actions à prendre plutôt que de réagir de façon instinctive. Soyons ouvert à l'intuition, mais soyons aussi des décideurs rationnels.
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