La plus grande difficulté au sein d'une entreprise consiste à transformer en action une stratégie et des objectifs déterminants, et ce, à tous les niveaux tout en restant centrée sur la vision, la mission et l'intention. Dans son dernier livre, Strategy and the Fat Smoker, David Maister appelle cela le syndrome du « gros fumeur ». Nous savons habituellement ce qu'il faut faire, mais plus souvent qu'autrement, nous ne le faisons tout simplement pas. Tout comme l'homme qui sait qu'il doit améliorer son régime alimentaire et arrêter de fumer, mais qui n'arrive pas à changer ses habitudes, les organisations connaissent souvent leurs besoins, mais n'arrivent pas à traduire cela en action efficace qui produira les résultats escomptés par les hauts dirigeants.
Les experts en développement organisationnel attribuent généralement cette incapacité à des schémas d'intéressement inadaptés et à un leadership inefficace, mais je pense que les raisons sont beaucoup plus banales. La plupart des directeurs et des membres de la haute direction veulent réaliser la vision de l'organisation et accomplir sa mission. Toutefois, ils sont souvent entraînés dans des directions différentes alors qu'ils doivent se concentrer sur les affaires quotidiennes. Les écoles commerciales excellent dans l'enseignement des stratégies marchandes et opérationnelles de haut niveau, mais elles échouent lamentablement quand il s'agit de développer un esprit critique pour fractionner la solution d'un problème en étapes ou mesures pratiques, de donner des directives pertinentes et claires, ou encore d'analyser ses propres responsabilités et les attentes des superviseurs. Aussi, les plans et les actions de la haute direction et des directeurs de tous les niveaux d'une organisation ne sont pas entièrement en harmonie avec ceux du leadership stratégique. Dans bien des cas, ces plans et actions sont en contradiction avec ce que le PDG et le conseil d'administration tentent d'accomplir.
Les forces militaires ont développé des moyens très efficaces pour assurer l'harmonie organisationnelle. C'est parce que les armées doivent composer avec des problèmes psychologiques et systémiques qui, s'ils ne sont pas contrés, peuvent conduire à l'échec et la défaite. Les ordres peuvent être mal compris ou mal communiqués. Le terrain, les conditions météorologiques et les actions de l'ennemi peuvent ruiner les meilleurs plans. Et les deux bêtes noires historiques des planificateurs militaires, la friction et l'incertitude, ne font qu'ajouter au mélange de confusion et de décalage potentiel.
Pour vaincre cet état de chose, les armées comptent sur ce que j'appelle « la planification hiérarchique imbriquée ». Tous les commandants et leurs états-majors doivent élaborer un schéma de manoeuvre et assigner des rôles et des tâches spécifiques aux subordonnés. Le commandant de division donne des ordres précis pour l'opération à venir à ses commandants de brigade. Les commandants de brigade font de même avec leurs chefs de bataillon. Les chefs de bataillon transmettent les ordres à leurs commandants de compagnie, et ainsi de suite. Réciproquement, les commandants de chaque niveau doivent élaborer une mission et un plan pour leur unité, répondant le plus possible à l'intention et au schéma de manoeuvre du groupe supérieur. De cette manière, la mission et les plans d'un commandant de compagnie doivent s'harmoniser à ceux de son chef de bataillon. Ceux d'un chef de bataillon doivent s'harmoniser à ceux de son commandant de brigade. Ceux d'un commandant de brigade doivent s'harmoniser à ceux de son commandant de division, et ainsi de suite jusqu'au haut commandement.
Cela crée un canal hiérarchique ininterrompu et, surtout, une obligation de rendre compte qui, chez les militaires, est appelée fort pertinemment la chaîne de commandement. Les commandants subordonnés utilisent un processus appelé « analyse de la mission » pour analyser et identifier correctement les attentes à leur égard. Il existe plusieurs variantes, mais la plus simple exige que les leaders de tous les niveaux répondent aux questions suivantes avant d'établir leurs objectifs déterminants et d'élaborer un énoncé de mission pour encadrer l'ensemble de leur planification et de leurs actions opérationnelles :
• Quelle est l'intention du supérieur de mon supérieur?
• Quelle est l'intention et le concept d'opération de mon supérieur immédiat?
• Quelles tâches, quels rôles et quelles responsabilités spécifiques mon supérieur immédiat m'a-t-il assignés?
• Y a-t-il d'autres tâches, rôles et responsabilités implicites?
• Y a-t-il des limites à ma liberté d'action, de sorte qu'il y aurait des choses que je dois faire et d'autres que je ne dois pas faire?
• D'après les réponses à ces questions, qu'est-ce que mon organisation et moi devons accomplir pour contribuer au succès de toute l'organisation? En quoi notre succès est-il absolument essentiel au succès de toute l'organisation?
Les réponses aux dernières questions détermineront la mission de l'organisation. C'est ce que doit accomplir l'organisation sous les ordres de ce commandant particulier. Si elle ne réussit pas, c'est le succès de toute l'opération qui pourrait être compromis. Dans les armées occidentales, les commandants d'unités ont un champ d'action assez large pour atteindre leurs missions. On attend des leaders et des soldats de tous les niveaux qu'ils démontrent le maximum d'initiative en accomplissant leur mission, de manière à contribuer au succès de toute l'organisation. C'est ce qu'on appelle « le commandement de mission ».
Les entreprises et autres organisations peuvent grandement profiter de cette philosophie du leadership et de la gestion. Certaines le font déjà; mais l'expérience m'a démontré que la plupart ne le font pas. Cela pourrait découler d'un leadership inefficace et d'une microgestion trop zélée. Cependant, je crois que la véritable raison est que ces processus de planification hiérarchique imbriquée, d'analyse de mission et de commandement de mission exigent un changement de culture. Il faut aussi des compétences et des processus pour atteindre ce niveau de capacité. La bonne nouvelle, c'est que la plupart des dirigeants et des organisations ont déjà les bases. Il s'agit alors davantage d'adapter les approches et les processus existants et de faire un suivi systématique de manière disciplinée que d'essayer d'inventer quelque chose. Les avantages sont importants peu importe l'organisation, car cela implique que les leaders stratégiques sauront que chacun a fait tout ce qui est possible en vue de réaliser la mission et la vision d'affaires.
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