À une certaine époque, dans les années 1990, les militaires en mission dans les Balkans et d'autres zones en guerre ont décidé que le « caporal stratégique » était une pièce maîtresse du difficile maintien de la paix. Cette idée s'est imposée quand on a reconnu que même les décisions d'un caporal pouvaient avoir une incidence importante - voire stratégique - sur la mission.
Certains disaient à la blague que le haut grade équivalent du caporal stratégique était le « général tactique ». Cette expression faisait ressortir le fait que plusieurs officiers supérieurs semblaient trop interventionnistes dans la gestion des opérations à partir du quartier général.
La microgestion est la bête noire de la plupart des organisations. Le personnel pense souvent que tous ses gestes sont épiés et analysés par les cadres supérieurs. L'impression générale qui en découle est que la direction ne fait pas confiance aux employés. Par conséquent, les dirigeants de l'organisation ont souvent peur d'être perçus comme trop interventionnistes et échouent à exercer un contrôle au bon moment et au bon endroit pour obtenir l'effet stratégique désiré.
Malgré la mauvaise réputation de la microgestion, je crois qu'elle fait souvent défaut dans les organisations. Les leaders - stratégiques, opérationnels ou tactiques - doivent être prêts à intervenir et gérer les détails de certains aspects de l'entreprise. Cela peut exiger à l'occasion de se concentrer sur des détails opérationnels et tactiques pour des périodes de temps prolongées, simplement parce qu'ils revêtent une importance cruciale et qu'ils ont des répercussions stratégiques.
Prenez le cas de BP, qui s'est toujours enorgueillie de sa culture des opérations risquées. Sa stratégie est basée sur la recherche et l'exploitation des sources de pétrole les plus risquées et les plus dangereuses de la planète. Vers 2005-2006, la haute direction a décrété la nécessité d'une nouvelle culture de sécurité et de gestion prudente du risque pour remplacer la mentalité de « cowboy » qui prévalait depuis des décennies. Malheureusement, les problèmes ont continué, avec les résultats que nous avons vus dans le golfe du Mexique.
BP aurait eu besoin d'une transformation totale de sa culture pour éviter le désastre de la plate-forme de forage Deepwater Horizon. Bien que plusieurs changements aient été entrepris, il y avait encore beaucoup d'aspects de leur culture qui démontraient un manque de préoccupation à l'égard de la sécurité la plus élémentaire. Quand on lit les comptes rendus de ce qui s'est passé sur la plate-forme de forage, ce qui nous frappe c'est à quel point les directeurs étaient réticents d'intervenir pour corriger les violations évidentes des mesures de sécurité et une absence généralisée de « présence de commandement » pendant les premiers événements du désastre.
Les leaders donnent le ton et montrent la voie à leur organisation; ils ne peuvent pas se contenter de déléguer pour ensuite disparaître. Ils doivent constamment veiller à l'exécution des nouvelles approches et politiques, particulièrement quand elles diffèrent de façon marquée des pratiques précédentes et des attentes. En règle générale, plus les changements sont profonds, plus la direction doit recourir à la microgestion. Les cadres supérieurs doivent être aux premières lignes des nouvelles attentes, inspecter les installations, évaluer la compréhension des gens, chercher à corriger les erreurs et tout ce qui pourrait mener à croire que les choses n'ont pas vraiment changé ou que tout reviendra à la normale une fois la tempête passée.
Quand la routine sera installée et que tout le monde sera à l'aise avec les nouvelles attentes et la nouvelle culture, les dirigeants pourront revenir à une gestion de type non interventionniste, mais pendant le changement, ils doivent s'impliquer dans les détails.
Il en va de même pour les croyances et les pratiques au coeur de la culture d'une organisation. Steve Jobs participe intimement à l'élaboration et au lancement de tous les nouveaux produits et services d'Apple. Pourquoi? Parce que l'essence même de cette compagnie, c'est la conception de produits d'avant-garde.
Dans une entreprise moins axée sur les produits ou répondant à une force motrice totalement différente, le PDG devrait se concentrer sur l'élément central, quel qu'il soit, sur lequel repose la mission et la culture de son organisation. Dans le cas de la société pétrolière BP dont la force de poussée repose sur la ressource, par exemple, il faut trouver la ressource, acquérir les droits d'exploitation, extraire et distribuer la ressource. Le PDG devrait concentrer ses efforts et son leadership sur les décisions et les processus les plus importants relatifs à ces besoins, au point même de recourir à la microgestion si l'enjeu est critique ou stratégique.
En réalité, il faut établir un juste équilibre entre être trop stratégique (garder ses distances) et être trop tactique (intervenir). Les leaders doivent savoir quand mettre les mains à la pâte et quand les retirer. Cela exige un jugement prudent, et ce qu'on nous ressasse sur l'aspect indésirable de la microgestion devient non pertinent de ce point de vue.
Retour aux infolettres